Qui n'a jamais entendu, à la fin d'une randonnée, son tonton Eric farfouiller dans son GPS et déclamer avec fierté "Nous avons fait 1.800 mètres de dénivelé aujourd'hui !". Vous avez osé le contredire avec un timide :"Euh, j'avais regardé la carte, et le dénivelé n'était que de 1.550 mètres", mais sa réponse quasi-scientifique vous a cloué le bec : "Mais je parle de dénivelé cumulé, moi".
Ce dont vous parle tonton Eric, sans le savoir, c'est d'un "dénivelé cumulé d'erreurs", comme nous allons l'expliquer plus loin. Mais d'abord, s'entendre sur la terminologie.
Strictement parlant, le dénivelé, c'est la différence d'altitude entre deux points. Dans les loisirs ou sports de montagne, l'on évoque principalement le dénivelé positif, quand on part d'un point bas pour arriver à un point haut, donc nous ne parlerons que de celui-ci. Je pars de Saint-Sauveur-sur-Tinée, à 477 mètres d'altitude, pour arriver, sans avoir fait de descente entre temps, au Lauvet d'Ilonse à 1.992 mètres, mon dénivelé est égal 1.992 - 477 = 1.515 mètres.
Le dénivelé cumulé, c'est le cumul (la somme) des dénivelés effectués, par exemple au cours d'une randonnée ou d'un trail. Dans l'exemple précédent, si plus tard dans la journée j'avais fait une nouvelle montée de 300 mètres de dénivelé, mon dénivelé cumulé serait de 1.515 + 300 = 1.815 mètres.
Les choses étaient aussi simples que cela avant l'arrivée dans nos poches des altimètres barométriques, des GPS de randonnées et des smartphones avec des applications de cartographie. Ces appareils donnent des informations un peu erronées, et quand on cumule plein de petites erreurs, le résultat en est une grosse. Mais fascinés pour ces petites machines si brillantes, bien vite nous prenons les valeurs qu'elles énoncent pour une réalité, surtout quand cette réalité arrange notre ego.
Regardons ces erreurs en détail, en commençant par le profil altimétrique suivant, issu de notre randonnée Tour en Vionène.
Nous sommes partis de 477 mètres, sommes montés à 1.992 mètres, puis sommes redescendus au point de départ. Les deux seules remontées (c’est-à-dire une descente suivie d'une nouvelle montée), sont une petite bosse de 30 mètres peu après le départ (en longeant la Tinée), et le petit morceau de route en-dessous de Roubion entre les balises 294 et 293 pour récupérer le Chemin du Facteur, de 25 mètres de dénivelé. Donc un dénivelé cumulé de 1.570 mètres. Ce chiffre est exact, car les altitudes des différents points, relevés sur la carte IGN 1:25000, ont une précision meilleure qu'un mètre.
Pour la petite histoire, si nous traçons le même parcours avec l'excellent outil en ligne Openrunner, qui utilise un modèle numérique de terrain pour calculer les altitudes, dans le cas présent, nous obtenons un dénivelé de 1.650 mètres.
Prenons maintenant le dénivelé annoncé par notre GPS, en l'occurrence un Garmin Oregon 450, l'une des références parmi les GPS de randonnée. Pour calculer l'altitude, il effectue une corrélation entre son capteur barométrique et les données GPS, ce qui lui donne une précision bien meilleure qu'un altimètre barométrique ou une application sur smartphone. Et sur ce même parcours, il nous annonce 1.760 mètres de dénivelé, 190 mètres de plus que réalité, soit une erreur de 12%.
Pour voir ces erreurs, faisons un zoom sur une minuscule partie du parcours, les points 1.811 à 1.821 parmi les 3.453 enregistrés pendant la randonnée. Ces points représentent 10 secondes pendant la descente vers la Baisse de Tavanières par la prairie (pas d'arbres, proche du sommet, des conditions idéales pour la réception du GPS). Regardons dans la dernière colonne les altitudes enregistrées seconde par seconde, et reportons-les dans un petit graphique :
Chaque ligne horizontale de graduation représente 20 mètres d'altitude, soit la taille d'un immeuble de 6 étages. A en croire le GPS, dans les 2 secondes entre 14h58'33 et 14h58'35, nous aurions gravi 50 mètres, soit 25 mètres par seconde, soit une ascension de 90.000 mètres par heure, ou 90 km/h. Pris à l'échelle du parcours complet, en additionnant toutes les erreurs, le dénivelé cumulé du jour est de … 5.932 mètres !
Donc tous les GPS possèdent un algorithme de filtrage, chargé de gommer ces imperfections en lissant la courbe. Et c'est là que des choix arbitraires sont faits par les ingénieurs qui mettent au point ces algorithmes : si l'on lisse trop, l'on risque de rater un vrai changement de pente, et si l'on ne lisse pas assez, l'on conserve trop d'erreurs.
Le résultat de ces choix fait qu'en pratique, nous avons constaté que sur des randonnées entre 500 et 2.000 mètres de dénivelé pour une distance entre 10 et 30 kilomètres, l'exagération du dénivelé par un Garmin Oregon 450, s'il est paramétré correctement, est comprise entre 10 et 15%. Et d'après ce que nous avons pu lire, cela serait la norme pour les GPS utilisés en randonnée ou en trail.
Quant aux profils altimétriques que nous affichons dans les topos sur ce site, nous y mettons deux valeurs de dénivelé :
- le dénivelé brut : c'est celui issu du filtrage que nous appliquons aux traces GPS, pour éliminer ce que nous nommons les incohérences locales (plus de détails dans l'article consacré au Filtrage de traces GPS de randonnées). Il est assez proche du dénivelé calculé par le GPS, même si calculé différemment (filtrage par la cohérence de la trajectoire plutôt que par les écarts d'altitude).
- le dénivelé que nous nommons réel, est le dénivelé cumulé, mais en ne tenant compte des remontées que si elles font au moins 100 mètres, donc excluant les petites bosses sur le parcours. Dans le cas pris en exemple, les deux bosses de 30 et 25 mètres sont exclues du calcul, ne reste donc que le dénivelé principal, soit 1.515 mètres.
La prochaine fois que tonton Eric vous annonce son dénivelé, glissez-lui que s'il fait le cumul de tous les dénivelés positifs, il sera plutôt à 6.000 mètres, et regardez son sourire !